Plage de Sainte Ernie du Squale , été 1910 ...
- Quelle merveilleuse idée vous avez eu , monsieur Cresson ... utiliser un quotidien de Paris pour vanter la qualité des bains de mer à Sainte Ernie !
- Ce n'était rien , monsieur le maire : le directeur du quotidien et moi , nous avons fait notre service ensemble ! Et puis je travaille un peu pour mon bien , ayant la concession estivale des cabines . Si je veux faire un profit , il faut que les gens viennent à la plage !
- Et je peux vous dire qu'ils viennent : j'ai fait le tour des maisons de chambre et c'est complet ! Même le gite de madame Aucou , un peu à l'écart , affiche complet .
- Je vais souper trois fois par semaine chez Sucette Aucou ...
- Pardon ?
- Je dis que je vais souper trois fois par semaine chez Suzette Aucou . La marée monte ... et avec ce vent , il faut crier !
Une cloche se mit à sonner ... une petit bateau de pêche passa devant la plage en direction du port . Le marin tenant la barre envoyait la main à un peu tout le monde .
- Ahhh... le Père Roquette qui revient de relever ses filets ... s'il est de bonne humeur , c'est qu'il y aura du poisson frais à la table ce soir !
Une groupe de vacanciers , des femmes en longues robes blanches , tenant chacune une ombrelle , passa près d'eux et leur firent un signe de tête et un sourire .
La marée montante léchait les bords des cabines stationnées dans l'eau , cabines d'où entraient et sortaient un flot d'adultes attirés par les bains de mer .
- Je n'en reviens tout simplement pas de votre ingéniosité , Cresson ! Vous avez fabriqué des cabines jumelles ... et il semble bien que votre concession sera payante si j'en juge par le nombre de gens qui entrent et sortent .
- Monsieur le maire , j'ai installé des cordes tendues pour éviter que nos baigneurs perdent pied . Il y a aussi une aire délimitée par un gros filet de pêche où les enfants peuvent se mouiller les pieds . Mais ce sont ces cabines qui font la renommée de la plage : des cabines doubles ce qui m'a épargné pas mal de coûts et qui sauve aussi du temps d'attelage . Les chevaux remontent les cabines deux à la fois !
- Et les bonnes mœurs , Cresson ?
- Toutes les cabines furent inspectées par monsieur le curé lors du lancement de la saison ! Il garantit leur conformité et le respect des mœurs de notre époque . D'ailleurs il vient à tous les jours sur la plage pour vérifier que tout se passe bien .
- Le curé Lutite à la plage ? Je voudrais bien voir ça ...
- Eh oui ... et il passe souvent chez madame Aucou , le soir , pour une petite partie de bridge .
- Tiens donc ... je en savais pas qu'il jouait aux cartes ... mais , Cresson , regardez donc votre cabine tout au bout , là-bas . Elle vacille et tangue ! Et de plus en plus vite ...
- Ah , ça ! C'est le bois sec qui se détend au contact de l'eau de mer . Une réaction normale surtout quand les vagues touchent les roues et effleurent le plancher . Je vais demander à ce qu'on remonte un peu la cabine .
Le groupe de femmes tenant ombrelles s'était arrêté en face de la cabine tremblante et observait avec intérêt le mouvement se résorber peu à peu .
Quelques instant plus tard , la porte de droite donnant sur la plage s'ouvrit et un homme en sortit en attachant les boutons de sa soutane .
- Mesdames , ne restez pas là à bailler aux corneilles ! Cette roulotte a sans doute un défaut de construction ... je lisais mon bréviaire à l'intérieur - pour profiter de l'ombre - quand elle s'est mise à se balancer et à craquer ... plus que ça et j'aurais juré une attaque du Démon ... vous avez entendu comme un cri , vous ?
Les dames se signèrent en entendant le nom du Malin ...
Cresson et le maire Pompette arrivèrent au moment où le démon était invoqué .
- Monsieur Cresson , monsieur Cresson ... cette roulotte de romanichels a certainement un défaut de fabrication . Remontez-là et , comme vous êtes un bon chrétien et que je suis habile de mes mains , je pourrais sans doute y jeter un coup d'œil avant les Vêpres . Vous savez que je suis bricoleur à mes heures ...
- Ce n'est pas celle que vous avez déjà réparée , le mur ou je ne sais quoi ?
- Non , non ... c'est une autre ... je reconnaitrais celle que j'ai réparée , voyons ! Bon , je remonte au village et je repasserai plus tard avec mes outils .
Les dames saluèrent , le maire leva son chapeau .
Cresson entra dans la bicoque roulante : rien ne semblait anormal sinon deux boutons de soutane à terre , près du mur mitoyen . Il se pencha pour les ramasser quand il vit de la sciure le long du plancher .
Il inspecta avec plus d'attention ...
Un panneau du mur semblait amovible ou , plutôt , semblait avoir la possibilité de glisser latéralement .
Il attrapa les boutons et sortit .
- Vous venez , Cresson ? dit Pompette . J'ai la gorge en feu avec ce soleil et ce sel dans l'air .
- Une ou deux minutes , je veux juste voir qui ...
La porte de gauche donnant sur la mer s'ouvrit et Suzette Aucou en sortit , vêtue d'un de ces nouveaux et très seyants costumes de bain bouffant descendant à la cheville . Elle s'assit sur le timon et regarda le mer pour finalement se rendre compte qu'elle était observée .
- Bien le bonjour , madame Aucou ! Le temps est magnifique , n'est-ce pas ? C'est comme si les bénédictions du Seigneur était descendue sur nous .
- Une bien belle journée , en effet !
- Cette cabine est tremblante , un peu instable . Notre bon curé va y voir ce soir : vous savez que les réparations sont un dada pour lui ! Si vous voulez bien choisir une autre cabine pour le moment ...
- Cet homme est un saint , messieurs ... il est capable de remettre à neuf tout ce qu'il touche ! Il a le Doigt de Dieu !!
- Je vous crois , madame ... je vous crois !
Cresson salua bien bas et se dirigea vers le haut de la plage , pensif .