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La Grotte du Lutin Grincheux

10/5/2014

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Photo
Suite de la nouvelle d'hier ... oui , il existe une suite de par le personnage principal ...
Après la triste aventure à la Chute Montmorency , voilà qu'il se retrouve sur un autre site et là , ça devient beaucoup plus personnel !

La photo vous montre le site en question . La grotte existe de même que le ruisseau souterrain et la paroi de glace qui remonte vers la surface ... je sais : je l'ai fait !

Donc voilà :

LA GROTTE DU LUTIN GRINCHEUX

 

 

 

Une des premières choses que tu apprends quand tu circules en forêt, c’est de ne jamais dévoiler immédiatement ta position lorsque tu aperçois quelqu’un.

C’est peut-être un chasseur nerveux ou mariné dans l’alcool, un braconnier qui ne désire pas être surpris, un garde-chasse qui veut surprendre un braconnier ou bien un propriétaire qui ne veut pas voir de grimpeurs sur son terrain.

 

Ce qui m’avait été appris tout jeune allait me sauver la vie...

 

St-Patrick est un petit village on ne peut plus ordinaire où la vie suit son cours depuis quelques centaines d’années. Un petit village qui n’aurait rien de particulier si ce n’était de cette rivière qui, dévalant du Bouclier Canadien, avait tranché la plaine du St Laurent en créant une gorge longue de deux kilomètres et haute d’une quinzaine de mètres. Le calcaire de Trenton est tellement stratifié que c’est un des seuls endroits de la Province truffé de grottes et de boyaux, de minuscules grottes assurément mais il y en a dans tous les champs et dans la forêt qui borde la rivière.

 

Je suis arrivé là il y a quelques années me souvenant vaguement des ébats de jeunesse sous une falaise couverte de cèdres. Mal dans ma peau, je cherchais une falaise à développer, un projet qui me tiendrait en vie un été de plus, une raison pour sortir de mon triste quotidien.

Vous voyez, j’ai cette perceuse qui m’a coûté les yeux de la tête et je l’utilise comme un Dieu. En fait, la perceuse à la main, suspendu au bout d’une corde avec une plaquette en bouche, je suis plus vivant que n’importe lequel d’entre vous.

Et puis il y a l’aspect créatif : faire sortir une voie d’un mur vierge. Une pure vision de l’esprit qui me hante et dont je ne peux me défaire qu’en me suspendant dans le vide et en travaillant comme un forcené jusqu’à ce que tout soit parfait.

 

Peu m’importe de la grimper le premier ou même de la grimper tout court. Peu m’importe que j’investisse mes maigres économies dans une telle futilité. Peu m’importe que la majorité des grimpeurs n’auront jamais un mot de remerciement et que certains vont critiquer alors qu’ils n’ont jamais vu une ligne vierge leur sauter aux yeux. Peu m’importe les cordes usées, les cicatrices, le danger omniprésent et le matériel bon à jeter.

Ouvrir une voie, c’est une création de l’esprit, le reflet de ce que je suis et ce que j’aimerais être, c’est une touche d’art sur un canevas vierge.

 

Mais il y a plus. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours espéré découvrir de nouvelles terres, fouler des sols où personne n’aurait mis les pieds, devenir un explorateur. Hélas, la vie nous ramène bien vite sur terre et les Pôles comme le fond des Océans sont pour des mieux nantis que moi; pour de plus jeunes aussi. Par contre, chaque fois je pose le pied sur une falaise avec ma perceuse, je suis le découvreur de ce monde vertical : mes mains touchent le rocher et j’en suis le Colomb, le Peary, le Hillary. Qui, maintenant, peut se vanter d’aller où nul n’a jamais été?

 

J’ai donc ouvert une quarantaine de voies sur ce petit mur du début des gorges et je suis ensuite passé à d’autres choses de plus massif. Il n’en reste pas moins que c’est un des sites les plus achalandés de la région et que, durant la saison froide, il y a quelques coulées de glace qui en valent la peine. Mais surtout, l’hiver, c’est la solitude quasi assurée et j’en avais bien besoin depuis cette affaire à la Congelée. Trois semaines s’était passées : on m’a redonné mes piolets en me disant de me faire oublier, de ne jamais réapparaître dans le collimateur des forces de l’ordre. Affaire classée, pas de mauvaise publicité et on recommence à zéro en silence.

 

Il y a au début du site une fracture d’où sort une cascatelle : on peut y entrer facilement pour ensuite ramper et marcher  sur 300 mètres et ressortir dans un champ. Le plafond est effondré à quelques endroits. Il s’y forme donc des coulées de glace de huit mètres bien cachées que personne n’avait jamais vues pour mon plus grand bonheur car je rêvais d’aller y faire quelques photos et une première plutôt inhabituelle.

 

J’ai stationné mon auto sur le bord de la route et je suis descendu par le sentier sous une neige abondante. Personne : le bonheur total! La cascatelle coulait à peine et je me suis avancé dans cet univers minéral, moitié rampant sur la glace et moitié accroupi, prenant des photos de ces micros formations que pendaient çà et là, de ces chandeliers éphémères, de ces lingams glacés.

 

Combien de temps je suis resté là? Une heure, peut-être? Je contemplais un pilier de la glace la plus bleue qu’il m’ait été donné de voir et j’aillais y donner le premier coup de piolet lorsque j’entendis le bruit des motoneiges. Rien de bien inquiétant : il y a un sentier un peu plus loin alors je me lance dans l’ascension de ce rideau bleu. Là aussi, c’est le sentiment d’être le premier au monde, le premier de la race humaine qui touche à ce monument illusoire. La beauté d’une première ascension : presque aussi beau que l’équipement d’une voie!

 

Au sommet, il y a un gros cèdre centenaire : je m’accote le dos sur ses racines et glisse partiellement hors de mon trou. Un peu plus loin, il y a quatre hommes et deux motoneiges avec leurs traîneaux à moitié pleins.

Un des hommes porte un harnais et il est relié à une corde par un grigri. Je le connais bien... mon ami Bob. Enfin, ami dans un passé bien imparfait car il m’a fait faux bon après que je lui ait montré les techniques d’ouverture et quelques spots secrets. Le milieu de l’escalade n’est pas plus tendre qu’ailleurs et les ego sont certainement plus massifs. Je le croise depuis sans qu’il me salue. 

 

Mais qu’est-ce qu’il fabrique au dessus d’une de mes voies condamnées? La « Grotte du lutin grincheux » était une ligne superbe mais une des prises avait cassé lors de la première ascension et, de rage, j’avais déséquipé le tout après avoir perdus quelques litres de sang. Une petite grotte invisible aux yeux existe à deux mètres de la sortie, un cul de sac où on peut ramper et s’allonger mais que personne n’avait remarqué avant et que personne ne reverrait plus. Je n’en ai parlé qu’à quelques connaissances...

 

  • « Dépêche-toi! Le gros Christ doit pas être bien loin... »

  •  

  • « Y doit être plus loin au dessus de la rivière : il y a de la glace qui se forme dans le tournant à dix minutes d’ici. On l’a pas vu pis son char est là en haut. »

     

    Attendez une minute! Le « gros Christ », c’est moi!

    Le sang ne me fait qu’un tour et je me retiens de sortir de ma cachette : il faut au moins que je sache ce qui se passe. D’une façon ou d’une autre, ils ne peuvent pas me voir et j’ai tout mon temps.

     

    -« Envoye, descends chercher les autres paquets qu’on s’en aille prendre une bière. »

     

    -« Y en restes-tu pas mal? »

     

    -« La moitié ... on en a la moitié... dix minutes, pis c’est fini. »

     

    Là, c’est mon chum Bob qui vient de parler en rappelant le long de la corde. Deux gars s’assoient sur les motoneiges alors qu’un autre fume une cigarette en regardant en bas.

     

    -« Y sont fous, les hosties qui font ça! Moi, ils me paieraient pour m’accrocher sur un arbre pis descendre dans le vide. »

     

    Les deux autres le regardent d’un air blasé puis jettent un coup d’oeil aux alentours. Maudit que j’ai été chanceux de ne pas laisser de traces en haut de la falaise. Je vais avoir de quoi raconter sur le compte de Bob!

    Le voilà qui remonte avec des paquets accrochés à son harnais et un sac à dos rempli.

     

    -« Quelques voyages de plus... »

     

    -« Dépêche, man! »

     

    Les paquets rejoignent leurs petits frères dans les traîneaux. D’où je suis, avec cette forme et cette légèreté, je crois savoir ce qu’ils contiennent, ces colis. Du pot... de l’herbe... de la mari... bref la culture principale du Québec en terme de valeur d’exportation, le tout contrôlé par les gangs de motards criminalisés. Le terme poli pour dire les Hells Angels! Et comme il y a un chapitre affilié dans le village voisin et que tout le monde est au courant, je ne devrais pas être surpris. Mon Dieu que j’ai bien fait de ne pas bouger!

    Ça explique pourquoi Bob n’a pas eu de problèmes à acheter une voiture neuve, une perceuse, des plaquettes, tout ces vêtements neufs tout le temps. Le maudit a une plug avec les Hells...

    Facile, il sort dans les bars tout le temps et il a dû s’ouvrir la trappe une fois de trop, se vanter de ses découvertes et se faire offrir quelques joints et/ou une « danse à dix » dans un bar de danseuses.

     

    Pourquoi moi? Pourquoi maintenant? Tout ce que je veux, c’est la sainte paix et pas d’autres ennuis avec la police ou les motards. Je vais rester ici dans mon trou, sans bouger, jusqu’à ce que tout ce beau monde soit parti. Et c’est ce que je fais, un flocon de neige parmi d’autres, une molécule innocente dans son coin. Le commerce de la drogue est une affaire de gros sous : il s’en plante dans les champs un peu partout entre les cultures et toutes les surveillances aériennes ne peuvent couvrir le territoire ou déjouer les astuces des trafiquants. Passé la récolte, on stocke et on livre à la demande le plus souvent au sud de la frontière, chez nos amis américains qui apprécient les produits du terroir. A certains endroits il y a des gardes armés surveillant le pactole juste avant la récolte et des pièges à ours pour dissuader les curieux.

     

    -« Go Bob... le gros Christ n’arrive pas pis on a fini ici. Le camion part à soir. »

     

    -« Encore un voyage pis c’est fini. C’est platte : j’aurais bien aimé qu’il se montre, l’épais qui a fait cette falaise, pour qu’on lui arrange la face. O.K. je descends... vous savez quoi faire. »

     

    Comment... moi, je suis un « épais »? Puis c’est lui qui donne des ordres aux autres! Il y a quelque temps, il mousquetonnait à l’envers la moitié du temps! Si c’est cela l’évolution....

     

    PLOC... PLOC...

     

    Le gars qui fumait la cigarette vient de tomber la face la première par terre!

    Et je connais ce bruit-là... calibre 22 ... j’ai pas passé ma jeunesse à chasser pour rien et ce petit bruit innocent m’en dit long. Surtout que le gars qui a tiré l’a fait au travers d’un des sacs pour étouffer le son mais le résultat est le même. Si je sors, je ne ferai pas de vieux os....

    La majorité des règlements de compte se font au 22 ou grâce à une bombe sous l’auto. Efficace et peu coûteux.

     

    J’aperçois la tête de Bob qui remonte et jette les sacs sur la neige.

     

    -« C’est fait? Le chien sale nous a vendu une fois de trop. Il a eu ce qu’il méritait depuis longtemps : on va le fourrer dans le trou à la place du stock pis c’est pas demain que quelqu’un va le trouver. Pas cette année en tout cas! C’est juste dommage que le maître des lieux soit pas venu pour que je le brûle lui avec. »

     

    -« Y t’a fait quoi ce gars-là? Y nous voles-tu ou bien y couche avec ta blonde pis tu veux le piquer? »

     

    -« Pantoute! Il me fait chier depuis que je le connais : il sait tout, il pense pour les autres, il est tellement fin que ça me tombe sur les nerfs depuis que j’ai commencé à grimper pour trouver des planques pour le stock. Un corps de plus dans le trou, c’est pas plus difficile et personne ne s’ennuierait de lui surtout que j’ai des contacts qui auraient bien payé pour avoir sa peau. Disons que c’est un service à la communauté! »

     

    Je ne sais pas ce qui me retient... ou plutôt je sais très bien ce qui me retient... mes piolets contre le 22, j’ai pas une chance surtout qu’ils ont des motoneiges. Ca m’apprendra à vouloir faire partager ma passion. Pour l’instant, il faut que je m’en tire vivant et mes pieds commencent à fatiguer sur les pointes avant des crampons.

    Les deux gars glissent le corps vers le vide et Bob l’attrape comme s’il ne pesait rien. Grand et fort, mon ami Bob!

     

    -« Bon, moi je descends cette vermine-là dans son trou puis, vous autres, vous prenez les skidoos et vous allez à la ferme. Je remonte, je range mon matériel et je vais prendre mon pick-up pour aller vous rejoindre. Une bonne chose de faite : c’est de l’argent en banque dans quelques jours. »

     

    -« A tantôt, Bob! Met-le à l’aise dans son trou! »

     

    Les deux embarquent sur leurs machines, démarrent dans un nuage bleuté qui fait honte au protocole de Kyoto et partent vers le sentier. Il ne reste que moi, Bob et le macchabée. Là, on ne jouera pas au fou trop longtemps....

     

    J’ai bêché sur cette falaise comme c’est pas possible. J’y ai amené ma mère en pique-nique. J’ai amené des novices qui y ont fait leurs premières armes. J’ai sué sang et eau et voilà que ce clown vient détruire le travail d’un été. Et non seulement ça mais il veut me faire disparaître pour faire plaisir à ses associés qui gèrent la prostitution. Ma vie va changer!

     

    Je sors de mon trou en regrettant cette petite merveille bleue que je ne reverrai pas de sitôt.

    Je m’avance vers le bord de la falaise à toute vitesse, aussi vite que mes crampons me le permettent. Il ne reste que quelques secondes avant qu’il ne remonte : pousser un corps au fond d’un trou ne prends pas tellement de temps!

     

    Le calcaire est tellement stratifié qu’il y a des pierres qui traînent partout sur le bord. J’ai équipé la falaise de façon à ce que personne ne sorte en haut car c’est trop dangereux, tous ces blocs épars. Il ne faut jamais négliger la sécurité quand on équipe une voie! Pas besoin de normes et de règlements pour savoir que la vie, c’est sacré...

     

    La tête de Bob émerge du trou. Il est suspendu à son grigri.

     

    -« Bob! Mon ami Bob! Tu sais que je t’ai toujours dit de ne jamais poser ta corde sur une arête à St-Patrick... le rocher est coupant en maudit.... Tu sais que j’ai coupé une de mes cordes une fois... »

     

    Il lève la tête et je vois ses yeux s’agrandir puis devenir méchants. Il hurle :

     

    -« Mon Hostie!!!! »

     

    BANG...

    BANG...

     BANG...

     

    Trois coups de bloc de calcaire pour couper une corde de 10.5mm...

    Je me demande s’ils font des tests comme cela à l’UIAA?

     

    Bob tombe, rebondit sur la petite terrasse au pied de la paroi et se retrouve à l’eau.

    L’eau est glacée, personne ne fait de kayak dans la rivière car le courant est souvent trop fort et, si tu chavires, tu es entraîné sous les rochers et essoré durant quelques jours et quelques kilomètres. Impossible de sortir de là avant le prochain village.

    Espérons que Bob soit mort avant de tomber à l’eau!

     

    Mais réellement, je m’en fiche pas qu’un peu.

    Je viens de perdre beaucoup plus qu’un Judas. Je viens de perdre ma liberté chérie.

    Ses amis savent que j’étais dans les parages et quand ils ne le verront pas revenir, ils vont bien se douter de quelque chose. Il est plus que temps pour moi de réorienter ma vie et mes priorités, voir d’autres horizons et ce, au plus tôt.

     

    Je défais la corde de Bob et la jette dans la rivière. Il neige toujours et cette neige devrait cacher mes pas pour un œil pas trop averti. Disons quelques heures. Juste le temps de faire mes bagages, de passer à la banque et de regarder les possibilités.

     

    Et j’amène ma perceuse avec moi. On ne se sépare pas de ses amis comme cela : de vrais camarades, même mécaniques, c’est une denrée rare de nos jours!

     


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